N°5 LA CONDITION HUMAINE
d'André Malraux (1933)
Mesdames-Messieurs, voici venir le moment que vous attendiez tous : le Top 5 du XXe siècle ! En 5e position vient André Malraux (1901-1976) avec sa Condition humaine : Goncourt 1933, Panthéon 1996.
Nous sommes à Shanghaï, en 1927. Période d'insurrection en Chine. Un jeune tueur poignarde un type qui dormait paisiblement : on dirait la scène de la douche de Psychose mais en remplaçant le rideau de douche par une moustiquaire. Tchang Kaï-chek prend le pouvoir. Très vite, le communisme aborde ses premières contradictions : on a fait tout cela pour défendre l'homme, mais pour que ça marche il faut torturer des hommes. Ce dilemme est incarné par quelques personnages centraux : Kyo Gisors le chef révolutionnaire humaniste ; Tchen, le terroriste solitaire ; Katow, le Jean Moulin russe ; Hemmelrich, le lâche belge qui finira héros ; Ferrai, le capitaliste cynique; Clappique, le joueur mythomane. En gros, Tchang Kaï-chek va retourner sa veste et notre bande de cocos se faire zigouiller par des Chinois soutenus par des impérialistes français. Cela vous semble compliqué? Normal : ça l'est.
Ces humains se débattent au sein de leur humanité : à la fois généreux et monstrueux, magnifiques et ridicules, puissants et impuissants, ils s'agitent vainement comme des fourmis pour tenter d'exister, de donner un sens à leur vie et à la mort de leurs camarades. La Condition humaine est un roman d'aventures mais surtout un roman engagé, le roman de l'idéalisme déçu, donc un roman terriblement XXe siècle. La révolution chinoise que Malraux appelait de ses vœux finira par triompher et Malraux la verra tourner au bain de sang totalitaire. Cela confirma ce qu'il pensait de la tragique humaine condition. Citons la fin du livre : « Chacun souffre parce qu'il pense. Tout au fond, l'esprit ne pense l'homme que dans l'éternel, et la conscience de la vie ne peut être qu'angoisse. Il ne faut pas penser la vie avec l'esprit mais avec l'opium. » Une solution vers laquelle il se tournera plus tard pour oublier son romantisme.
Le style des romans d'André Malraux s'est quelque peu fané : ils ont ce côté grandiloquent des voix off d'actualités Gaumont d'avant-guerre, ainsi que cette absence totale d'ironie qui caractérise les discours du ministre des Affaires Culturelles du général de Gaulle. En lisant « Tout home rêve d'être dieu », on a parfois l'impression d'entendre « Entre ici Jean Mouliiiin ». Mais les scènes d'action sont très cinématographiques et l'énergie romanesque reste indémodable. Trois ans après La Condition humaine, Malraux s'engageait dans la guerre d'Espagne, puis, quelque temps plus tard, dans la Résistance en France : c'est pour lui ressembler que, de nos jours, certains intellectuels crapahutent en treillis sous les bombes dans tous les endroits chauds de la planète. Pourtant les choses se passaient dans l'ordre inverse : « C'est l'Art qui a fixé mes rendez-vous avec l'Histoire », disait Malraux. Ce chat retombait toujours sur ses pattes...
Aujourd'hui les révolutionnaires ont changé de camp en Chine : à présent, Tchen est un étudiant qui arrête les chars place Tien An Men avant d'être envoyé au « laogai » (goulags chinois). Ce qui est rassurant, c'est qu'il y aura toujours une révolution à faire. La condition humaine a beau être tragique, elle ne sera jamais ennuyeuse. (A la réflexion, il n'y a rien de rassurant là-dedans.)
Si j'avais eu plus de temps, j'aurais pu vous raconter mes exploits pendant les grèves de 1995 : à un moment, je suis même allé jusqu'à crier « zut à la société ».